« La parure est un ensemble complexe d’objets et de signes imaginés et exécutés par les hommes vivant en groupe. Ces symboles expriment la spécificité de leur développement matériel, social et culturel ». L’apparat d’Eljem par sa richesse et sa diversité illustre à merveille cette définition. Subissant les influences des nombreuses invasions successives, l’originalité des parures tunisiennes constitue un agrégé de styles turcs, andalous, arabes et occidentaux.
Remarquons avant tout l’évidente distinction entre le port du drapé et le port du vêtement coupé et cousu. Le drapé serait le fait de populations semi-nomades ou nomades, le coupé-cousu, celui des populations sédentaires, citadines ou villageoises. Cependant, cette classification sommaire apparaît de plus en plus floue, du fait de la multiplication des échanges entre villes et campagnes d’une part et de l’attachement des familles à leurs traditions d’autre part (notamment pour le mariage). A Eljem, région de commerce intensif et d’artisanat prospère, les traditions citadines sont les plus fortes, mais elles ont rencontré les modes et les techniques du monde semi-nomade. Il sera alors possible de croiser dans les rues d’Eljem, la mère enroulée dans un long tissu blanc accompagnée de sa fille vêtue à l’européenne. Les influences des deux styles sont indubitables, mais la spécificité des campagnes a bien du mal à perdurer, ébranlée par l’exode rural et assaillie par les influences du monde moderne…
La fabrication des vêtements provenait auparavant de l’élevage familial, et était réalisée par la famille (de même que la teinture). Désormais les ateliers familiaux ont tendance à régresser, et la production ne concerne quasiment plus que les produits destinés au trousseau de mariage. Nous pouvons énumérer les voiles (hram ou sefsari) qui permettent aux femmes de sortir de chez elles complètement drapées, ainsi que les coussins brodés et les couvertures de mariage. Mais plus remarquable encore est l’habit de la mariée, fait d’un voile d’environ 5 m sur 1,75 m portant deux couleurs: le rouge et le bleu foncé. Il est travaillé en laine fine et brodée de fils d’argent, de fils de soie de différentes couleurs, et orné de lentilles d’argent.
La grande majorité de ces voiles sont à dominantes bleues ou rouges pour l’usage quotidien, blanches pour les fêtes. Les plus beaux sont travaillés en laine fine et arborent des décors très riches. Le type de drapés et de châles assortis, de la région, frappent en effet par un répertoire de broderies dont la symbolique interroge encore aujourd’hui les spécialistes.
Nous ne pouvons passer également sous silence le célèbre « burnous » porté par la plupart des hommes les jours de grand froid. Il s’agit d’une grande cape très lourde, en laine, et comportant un capuchon. De même que la « kachabia », sorte de burnous à manche, ils sont tous deux l’essentiel du vêtement d’hiver masculin.
Autres objets incontournables de la parure des femmes d’Eljem, les bijoux ont également une place de choix dans l’artisanat local. Les apports multiples à travers le temps expliquent sans doute la richesse actuelle de la bijouterie tunisienne. L’utilisation d’un grand nombre de matériaux a contribué aussi à sa diversité: or, argent, cuivre, émaux, perles, pâte de verre, pâte d’ambre, et même clous de girofles, offrent un éventail considérable de combinaisons.
Il est impossible de donner une liste exhaustive de tous les bijoux tunisiens. Citons simplement le fameux « kholkal » ou anneaux de cheville dont l’usage était répandu dans les villes comme dans les campagnes à travers tout le pays. Il s’agit d’anneaux circulaires de 2 ou 3 cm de section, qui se terminent en chaque extrémité par une masse parallépipédique portant des motifs gravés. Cadeau obligatoire lors du mariage, ils étaient souvent creux et en argent pour les pauvres, en or massif pour les riches.
Cependant, ces bijoux nés de la complicité des artisans et des femmes risquaient de tomber dans l’oubli au début des années 80. Heureusement, l’évolution de ce secteur semble se redresser: les tunisiennes sont sensibles aux nouvelles modes certes, mais elles ont su rester attachées aux bijoux de leurs grands-mères. De plus, on assiste actuellement à un véritable engouement des touristes pour les bijoux en argent massif, participant au renouvellement et au développement d’une partie de cet artisanat. Tout est aujourd’hui mis en oeuvre pour redynamiser ce secteur: le centre de formation professionnelle d’Eljem possède depuis plusieurs années une filière bijouterie, et la collection de certains antiquaires devant l’amphithéâtre sont dignes de grandes orfèvreries.